Noëlle Prinz fait partie des premiers co-habitants qui se sont installés dans un immeuble réhabilité, devenu habitat Duméril à Paris, dans les années 1980. « Ce sont nos idées qui nous ont réunis autour de ce projet, confie-t-elle. Certains d’entre-nous étaient actifs dans le milieu associatif, ou militaient dans le prolongement du mouvement de l’autogestion, avec des idées politiques plutôt à gauche. On avait des situations sociales et familiales identiques et le désir de vivre autrement. On habitait alors dans des logements traditionnels et on a décidé de mettre en adéquation nos idées avec la pratique.»
Des compétences bienvenues
Au départ c’est un noyau de trois familles qui se constitue pour porter ce projet, vite rejoint par d’autres, en s’apercevant qu’en mutualisant des surfaces plus importantes, le prix de revient du foncier baissait. « À partir du moment où l’on essaie de vivre autrement on rentre très vite dans les questions d’espace, son aménagement, la manière dont on va le répartir et en régler les usages, poursuit-elle. Et l’on se trouve aussi confronté à la gestion de tous les aspects du projet de cohabitat et de son fonctionnement : le financement, le choix d’une structure juridique, le dépôt d’un permis de construire… Heureusement que l’on pouvait compter sur des compétences au sein de notre groupe, en architecture, en droit et aussi en finance. Ce dernier point n’est pas négligeable car on tenait à ce que, indépendamment des revenus de chacun, nous ayons tous les mêmes conditions de crédit. L’un d’entre nous est parti les négocier auprès des banques. On a essuyé beaucoup de refus de vendeurs pour l’acquisition de terrains qui ne nous ne prenaient pas au sérieux, et manqué ainsi beaucoup d’opportunités, jusqu’à que nous nous soyons regroupés au sein du même établissement bancaire, avec des conditions claires de financement.»
Une expérience positive
Juliette Tiberghien « qui appartient à la seconde génération » évoque ses souvenirs d’enfance. Le projet construit par ses parents et 9 autres familles, a vu le jour en 1976, pour aboutir à la réalisation d’un immeuble en 1980, baptisé la maison du Val à Meudon en région parisienne. « Les fondateurs de ce co-habitat étaient des gens du même âge, tous actifs, avec le même niveau de vie, plutôt aisé, et partageaient des idées politiques plutôt progressistes », se souvient-elle. « Leur projet était de se réunir pour vivre ensembles. Il y avait eu, peu avant, une expérience réussie de co-habitat dans la ville de Meudon et parmi les résidents certains étaient des amis. Ce qui a suscité encore plus l’intérêt de ses parents et de l’ensemble du groupe pour trouver un terrain et l’architecte qui allait concevoir leur projet. Une fois construit, c’est la volonté de réussir à s’entendre, pour faire fonctionner l’immeuble sur un modèle très différent d’un syndicat de co-propriétaires, qui leur a permis de renforcer leurs affinités en une véritable amitié : « on partait aussi ensembles en vacances se souvient-elle. On a aménagé en 1980, une famille avec 4 enfants et nous avions une porte commune avec nos voisins immédiats, qui avaient aussi des enfants de nôtre âge, pour partager une salle de bain et des sanitaires. Et si nous étions toujours les uns chez les autres, nous avons été élevés différemment, chaque famille conservait ses impératifs et son mode de vie singulier ». Cela reste « une expérience très positive » pour Juliette Tiberghien, une réussite qui s’est confirmée au fur et à mesure des années « une véritable solidarité entre les personnes s’est développée et ce qui est très agréable aujourd’hui c’est qu’il y a toujours une présence à vos côtés.»
Renouvellement et pérennité
Pour elle l’expérience du cohabitat se poursuit : après avoir fait sa vie ailleurs, Juliette est revenue suite à son divorce s’installer auprès de ses parents à la maison du Val avec ses enfants. Elle a réintégré ces lieux et a installé dans les locaux communs un atelier de poterie et céramiques, « une activité annexe et une véritable passion et qui fut acceptée par tous ». Depuis 30 ans il n’y a pas eu de difficulté pour intégrer de nouveaux co-habitants et cela s’est même présenté relativement tôt : « il y a eu une famille qui n’est pas resté longtemps. On a toujours trouvé des personnes, pas toujours bien informées de ce mode de vie, mais qui l’ont trouvé génial ». Une pérennité que l’on doit à ceux qui sont au coeur de cette expérience, ce que souligne également Noëlle Prinz : « dans la transmission ceux qui portent l’histoire du lieu ont un rôle essentiel pour intégrer ceux qui arrivent après ». La forme juridique de la Société civile immobilière par attribution qui détermine la répartition entre les parties privées et collectives permet aussi un contrôle collectif sur les entrées, « il faut être coopté par ceux qui restent précise Noëlle. Depuis les années 1980, la vie a fait son chemin à Duméril et nous ne sommes plus que trois parmi les pionniers. Le système de cooptation joue le rôle d’un gardefou pour ne pas se retrouver avec des personnes qui ne partageraient pas le même état d’esprit. Il n’est pas possible de tout prévoir, comme la spéculation immobilière et la très grande plus-value des biens depuis 30 ans. Des gens se présentent, et s’ils veulent adopter notre cadre de vie, il doivent en accepter les règles ».
Des lieux très vivants
Au Val comme à Duméril, les parties communes sont assez importantes pour permettre d’avoir des activités qui dépassent le cadre de la vie familiale. Ce sont des expositions ou des animations selon, les intérêts de chacun, « des événements qui sont organisés pour les résidents et leurs amis et qui font vivre la maison, explique Juliette Tiberghien. Il y a des salles communes pour des activités de yoga ou de taï-chi, des ateliers de peinture, mon activité de loisir autour de la céramique, il y a aussi des groupes de musiciens qui viennent répéter durant la journée. On a invité un peintre pour faire une exposition, une connaissance pour un concert de musique baroque, ces petites manifestations qui restent bon enfant, contribuent à animer l’immeuble et c’est même cela qui en fait toute la valeur, comme l’identité de la maison du Val ». Aujourd’hui il y a 11 familles soit une trentaine de personnes qui y vivent, une avec deux jeunes enfants et une autre avec des adolescents, et surtout il y a de nombreux petits-enfants qui viennent voir leurs grands-parents les dimanches. Noëlle Prinz insiste aussi sur le rôle essentiel quetient le jardin de 500 m2 un espace commun et très agréable. Essentiel même, au milieu d’immeubles collectifs et de résidences classiques, « où les espaces communs sont plutôt confisqués ». Là oncore, au bout de trente ans les enfants ont grandi et sont devenus adultes, « et nos petits-enfants viennent nous voir ». Et il y a aussi un renouvellement des générations avec de nouveaux cohabitants : « le dernier couple s’est installé il y a 5 ans et ils ont maintenant un enfant. Cette vie en commun n’est pas toujours rose, et au départ on n’avait pas toujours bien su mesurer toutes les évolutions de notre co-habitation. On a fait face à quelques difficultés, mais au fond cette façon de vivre ensemble est tellement intéressante et enrichissante que cela valait le coût de prendre quelques risques".